Jazz live
Publié le 10 Juin 2025 • Par Xavier Prévost

Un après-midi de récitals jazz au CNSM

Quand j’étais un présumé ‘professionnel de la profession’, jusqu’en 2014, j’allais assez régulièrement découvrir de nouveaux talents dans les récitals de fin d’année du département Jazz du Conservatoire National Supérieur de Musique (et de Danse) de Paris. Aujourd’hui chroniqueur dilettante, j’ai toujours plaisir à revenir dans ces lieux pour de nouvelles découvertes (et je l’ai fait, à plusieurs reprises, pour en parler dans ces colonnes). Ainsi fut fait l’après midi du 10 juin 2025 pour de nouvelles aventures immersives (cela se prolongera le lendemain, matin et après-midi, mais sans moi, qui serai retenu ailleurs).

Le programme prévoit «une composition originale arrangée pour une formation de huit musicien.nes minimum dont trois soufflants minimum» ; et «un morceau imposé à arranger dans le style du jazz ‘classique moderne des années ’60». Et aussi une improvisation libre de l’instrumentiste-leader-compositeur, qui se jouera soit en fin de prestation, soit entre les deux autres séquences

Premier candidat, le batteur Mailo Rokotonanahary. Il a choisi d’arranger Rio, de Wayne Shorter. Pendant les premières mesures, euphonie et harmonisation, j’ai l’impression d’écouter une orchestration de Gerry Mulligan ou Ralph Burns au tournant des années 50, avant une explosion collective des solistes. La composition personnelle sera sur le mode de l’alternance lyrique : violence et nuances. Dans les deux cas, beau travail d’artisan d’art. Le solo de batterie commencera en plein minimalisme, comme une sorte d’éveil du set de batterie, avant l’émergence d’une impétueuses polyrythmie.

Puis vient le saxophoniste Keïta Janota, avec Beatrice, célèbre thème de Sam Rivers, et une ondulation autour du thème qui finalement surgit : là encore de la belle ouvrage. Le solo improvisé de sax alto, en forme de jaillissement, prend place entre les deux compositions. Puis le thème original s’installe, dans une sorte d’équilibre en mouvement, entre escapades solistes, maîtrise formelle et souffle de liberté.

C’est cette fois le batteur Loup Godfroy qui est à la manœuvre. Sa composition commence par des intervalles mélodiques distendus, un peu ‘à la Bartók’. Ce premier élément va s’épanouir dans une foule de tuilages, jusqu’à faire surgir un univers rythmique singulier. Là encore l’ambition formelle est féconde. Puis le titre livré à l’arrangement sera Self Portrait In Three Colors , de Charles Mingus, curieusement réintitulé (par l’arrangeur?) Self color in three portraits …. Tout se fait par glissements progressifs, jusqu’à la résurgence du thème de Mingus. Le contrat est rempli. Le batteur a choisi de placer son improvisation solo en fin de programme. C’est une sorte de jeu de rythmes, de vitesses relatives et de timbres, comme une espèce de grammaire qui s’accomplira ensuite dans une continuité expressive.

Le dernier candidat de cet après-midi sera le pianiste Yorick Geiller. Son arrangement de The Quintessence , de Quincy Jones, va évoluer sur des harmonies tendues, et flirter parfois avec des enchaînements d’accords issus d’autres classiques du genre. Puis la composition originale révélera un univers très contrasté, bien servi par les solistes. Le solo de piano sera conclusif : une corde grave pincée par la main du pianiste, que l’on laisse longuement sonner et résonner ; prélude à des phrases très introspectives, sans effets ni emphase. Parti pris de dépouillement assurément fécond.

Le public, en bonne partie les musiciennes et musiciens des autres groupes (ceux d’aujourd’hui, et de demain) est extrêmement attentif, et exprime son adhésion avec enthousiasme. Le jury, très concentré, entre écoute et scrutation des partitions, n’en perd pas une miette. Bref un vrai moment de musique, qui a su séduire aussi le chroniqueur.

Xavier Prévost